Le 24 janvier 2014, après dix ans de tractation intense et difficile, les négociateurs de région de l’Afrique de l’Ouest et la Commission européenne se sont finalement mis d’accord sur les modalités d’un APE régional.
Isabelle Ramdoo & San Bilal
En effet, cette réalisation est loin d’être négligeable, étant donné les différences importantes entre les pays au sein même de l’Afrique de l’Ouest, certains, comme la Côte d’Ivoire ou le Ghana, en avaient plus besoin que d’autres, pour maintenir leurs accès sur le marché de l’Union européenne. L’impossibilité de parvenir à un accord régional aurait certainement créé un climat particulièrement tendu dans la région, au risque même de compromettre le processus d’intégration régionale.
En tenant compte de leurs différences et en se concentrant sur leurs objectifs à long terme, les négociateurs ont su se montrer flexibles afin de parvenir à un accord important aussi bien sur le plan politique qu’économique.
Que contient cet accord ?
Les négociateurs se sont entendus sur les questions litigieuses qui avaient bloquées les précédents cycles de négociations. Pour la première fois en plus de 10 ans, la CE s’est montré flexible sur l’interprétation du seuil requis pour libéraliser l’essentiel des échanges, afin d’être compatible avec les règles de l’OMC. Reconnaissant les caractéristiques spécifiques de l’Afrique de l’Ouest, un accord a été conclu pour l’ouverture du commerce à hauteur de 75 % sur les 20 prochaines années, au lieu des 80 % sur 15 ans précédemment requis par la CE. Cette approche souple et pragmatique a joué un rôle clé dans le déblocage des négociations.
De son côté, l’Afrique de l’Ouest a également eu à faire des compromis pour parvenir à un accord, notamment en acceptant la clause du traitement de la nation la plus favorisée (même si la clause contient quelques exceptions), et sur les subventions à l’exportation - qui devraient être supprimés. La clause de non-exécution n’a pas été inclue.
En ce qui concerne le financement du développement, le montant convenu dans le cadre du Programme APE pour le développement (PAPED) est de 6,5 milliards d’euros pour la période 2015-19. Il n’y a toutefois pas d’engagement explicite pour dégager des « ressources supplémentaires ». C’était à prévoir, compte tenu de la situation financière de la plupart des pays européens et les contraintes qui pèsent sur leurs budgets de développement. Ce montant reste toutefois bien en deçà des estimations de l’Afrique de l’Ouest, qui s’élèvent à € 15.000.000. Toutefois, l’UE (la Commission, Etats membres et les institutions financières) s’est engagé à trouver des solutions pour combler le déficit de financement sans pour autant prendre des engagements fermes.
Il semblerait que l’UE et l’Afrique de l’Ouest (notamment le Nigeria et le Sénégal) aient finalement trouvé un accord qui leurs permettraient soit dans l’ensemble à la hauteur de leurs attentes respectives. Les pays ayant les plus grands intérêts (Côte d’Ivoire et Ghana) ont réussi à maintenir leur accès aux marchés de l’UE tout en préservant l’unité régionale et la cohérence avec le processus actuel de l’intégration régionale. De son côté, la Commission européenne a été en mesure de parvenir enfin à un premier accord régional. Sa flexibilité sur l’offre d’accès aux marchés, un aspect clé de l’APE UE-CEDEAO, s’est également révélée vitale. Plus important encore, à travers la conclusion de cet accord, l’UE et la CEDEAO ont évité un contrecoup politique et économique majeur qui serait survenu si les négociations avaient échouées.
Quelles perspectives ?
L’accord conclu par les hauts fonctionnaires devrait en principe être scellé officiellement au début de février à Bruxelles par les négociateurs en chef, et être approuvé au Sommet des Chefs d’Etat de la CEDEAO à fin de février.
Toutefois, pour le reste de l’Afrique, la portée de cette décision demeure incertaine alors que les Chefs d’Etat de l’Union africaine se réunissent en ce moment même à Addis-Abeba pour discuter des priorités continentales. Ce Sommet a pour objectif, entre autres, de finaliser les contours de l’Agenda 2063, qui comporte un volet important sur développement économique du continent. L’Union africaine devra dorénavant ajouter à ses enjeux, les moyens de surmonter la diversité des initiatives régionales afin que celles-ci demeurent cohérentes avec l’agenda continental.
Les APE seront certainement à l’ordre du jour. Les Chefs d ‘Etat devront donner un signal fort de l’unité africaine en vue du Sommet conjointe Afrique-UE qui se tiendra en avril prochain à Bruxelles. Mais la cohérence de l’intégration régionale, tant au niveau panafricain qu’entre les régions elles-mêmes, doit encore être résolue.
Il reste encore à voir si l’accord convenu en Afrique de l’Ouest aura un effet positif sur les négociations toujours en cours. Un accord est-il encore possible dans d’autres régions? L’UE va t-elle faire preuve davantage de souplesse dans d’autres domaines? En ce sens, l’APE UE-CEDEAO laisse à croire que tout est possible. Mais cela nécessitera de la part de toutes les parties prenantes, de maintenir le dialogue, de garder une approche flexible et surtout de maintenir un engagement politique fort, au plus haut niveau, afin de surmonter les différences. Le Sommet Afrique-UE devrait permettre un tel dialogue.
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Media Contact: Emily Barker
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